Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

L’Inde en « première ligne » dans la crise en mer Rouge

Depuis ses plantations de thé dans le nord-est de l’Inde, Anshuman Kanoria garde un œil sur la météo et l’autre sur la situation géopolitique en mer Rouge. En s’attaquant aux navires marchands de cette région, où transitent 70 % des importations européennes via le canal de Suez, les rebelles houthistes du Yémen ont réduit d’environ de moitié le trafic maritime.
Le détournement par le cap de Bonne-Espérance, au sud de l’Afrique, rallonge la durée des trajets d’au moins dix jours, et multiplie par trois le coût de transport du thé d’Inde vers Londres, Paris ou Saint-Pétersbourg (Russie). « Cette hausse s’ajoute à la flambée des prix de l’engrais et de nos coûts de production », se désole Anshuman Kanoria, qui craint de perdre des parts de marché au profit du Kenya, un autre producteur de thé plus proche de l’Union européenne et qui a signé avec elle un accord commercial en 2023.
L’autre problème est celui de la disponibilité des navires. Immobilisés plus longtemps pour contourner l’Afrique, les navires se rendant à Calcutta, le port indien de chargement du thé, risquent d’être moins nombreux. « Certains envoient leurs récoltes par camion à l’autre bout de l’Inde, sur la côte ouest où les liaisons maritimes sont plus nombreuses, mais c’est trop compliqué et risqué », estime Anshuman Kanoria.
Selon les estimations du centre d’études Research and Information System for Developing Countries, qui dépend du gouvernement indien, la crise en mer Rouge pourrait coûter au pays 30 milliards de dollars (environ 27,5 milliards d’euros) d’exportations, et ainsi les faire baisser de 6,7 % sur l’année fiscale se terminant au 31 mars 2024, par rapport à l’année précédente. « Nous suivons la situation de près », a déclaré le secrétaire d’Etat au commerce, Sunil Barthwal, début janvier.
« C’est aussi la sécurité énergétique du pays qui est en jeu, l’Inde important 86 % de sa consommation de pétrole et de gaz, souligne Kabir Taneja, chercheur à l’Observer Research Foundation, un think tank basé à Delhi. Or la mer Rouge était la seule alternative au détroit d’Ormuz [situé entre l’Iran et les Emirats arabes unis], dont le trafic a été perturbé en 2019 à cause des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran. » La moindre hausse du prix du pétrole pourrait avoir des répercussions politiques importantes à quelques mois des élections générales en Inde, prévues en mai.
« L’Inde est en première ligne dans cette crise en raison de sa proximité géographique, analyse Isabelle Saint-Mézard, professeure à l’Institut français de géopolitique. Elle protège ses intérêts en déployant des frégates pour surveiller les routes maritimes, sans rejoindre la coalition des Etats-Unis et tout en négociant avec l’Iran. » Le ministre indien des affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, était en visite à Téhéran mi-janvier, où il a exprimé son « inquiétude » face à cette situation, qui a « un impact direct sur les intérêts énergétiques et économiques de l’Inde ».
Il vous reste 48.86% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish